Interview dans "Psychologies Magazine"

18/01/2017 16:45

La paranoïa, une maladie très mal connue

 

 

« Complètement parano… » 

Dans la plupart des esprits, une personne paranoïaque est persuadée que le monde entier lui en veut. Ariane Bilheran, psychologue clinicienne, trace les grandes lignes de cette pathologie méconnue et plus complexe qu’il n’y paraît. 

Propos recueillis par Clara Brunel.

 

Psychologies : Qu’est-ce que la paranoïa ? 

Ariane Bilheran : C’est une pathologie mentale très grave, probablement l’une des plus grandes psychoses. Il ne s’agit en aucun cas d’un trouble de la personnalité : il est question, au même titre que la schizophrénie ou la mélancolie, d’une maladie psychiatrique. Son caractère de « folie raisonnante », qui lui donne une apparence de normalité, la rend très difficile à diagnostiquer. Fondée sur l’idéalisation et la persécution, elle a pour antichambre la perversion. 

 

Comment reconnaître une personne paranoïaque ?

Ariane Bilheran : Avant toute chose, il faut savoir que cela existe ! Cette maladie est si peu enseignée qu’il arrive même que des psychiatres se fassent avoir... Pour commencer, le malade se sent persécuté par le monde entier. Il n’a que des ennemis contre lesquels il doit se protéger. S’il a des amis, ils sont forcements soumis à son délire, ou considérés comme inoffensifs. Il idéalise une personne qui, petit à petit, devient le persécuteur. Le sujet qui délire interprète tout ce qui est évident. Dans ce cas, il se sent tout puissant, croit tout savoir et ne supporte pas la moindre contradiction. C’est simple, qui n’est pas avec lui est contre lui. 

 

Quelle différence entre un paranoïaque et un pervers ? 

Ariane Bilheran : Le paranoïaque crée une réalité qui n’existe pas afin que les autres y adhèrent. Le pervers, lui, ne fait qu’instrumentaliser autrui en fonction des circonstances. De nombreuses personnes se croient en couple avec un pervers alors qu’elles partagent le quotidien d’un conjoint paranoïaque aux procédés manipulateurs. Imperceptible, le délire d’interprétation semble rationnel. Le pervers n’est qu’un instrument. Le véritable stratège, c’est le paranoïaque. Au nom d’idéaux, il prive les gens de leur liberté afin de rétablir la justice et la vérité. Et pour ce faire, tous les moyens sont permis.

 

Quelle est la vision du monde d’un paranoïaque ? 

Ariane Bilheran : Elle est terriblement angoissante et chaotique. Le paranoïaque, c’est le tyran et un tyran est toujours extrêmement dépendant de ses sujets. Autrement, il n’existerait  pas. C’est donc une vision guerrière, de menaces constantes, extérieures et intérieures. Dès que le malade vit un phénomène ou un sentiment étrange, il l’attribue à une persécution et élabore des stratégies de défense avant de harceler les autres. 

 

Comment rassurer un paranoïaque ?

Ariane Bilheran : L’unique chose que l’on peut faire à mes yeux, c’est alerter l’opinion publique sur cette pathologie très manipulatrice. Je crois que la seule façon pour une personne paranoïaque de s’en sortir, c’est d’avoir une forme de reconnaissance narcissique sur l’un de ses talents, qui la calmera un peu. Il ne faut jamais contre dire un paranoïaque. Ni lui mentir, d’autant qu’il a des antennes plus développées que la moyenne. Finalement, cela peut être très fragilisant, psychiquement, d’essayer de désangoisser un paranoïaque. 

 

Quel est, dès lors, son rapport aux autres ? À la psychanalyse ?

Ariane Bilheran : Il ne se remet jamais en question. S’il se présente chez un thérapeute, c’est pour décrocher des attestations ou recevoir une validation d’un de ses actes. Le professionnel peut se retrouver persécuté par le paranoïaque. Personnellement, je suis très pessimiste sur la prise en charge des paranoïaques. Les seuls que l’on peut aider sont les patients à un carrefour, qui ont des tendances paranoïaques mais qui ne le sont pas en réalité. Tant que le patient n’a pas totalement décompensé, tout peut se travailler. 

 

Notre société favorise-t-elle la paranoïa ? 

Ariane Bilheran : Lorsqu’il est question de stabilité psychique, nous sommes tous extrêmement tributaires des circonstances extérieures. Le paranoïaque va décompenser à la faveur d’événements déstabilisants de la vie. S’il y a autant de paranoïaques aujourd’hui, c’est parce que nous vivons dans un système paranoïaque. Plus on délivre des messages politiques de propagande et de terreur, plus des gens décompensent. Une personne qui évolue dans une société où les relations entre les êtres sont pacifiques et fondées sur la confiance pourra avoir un fond psychotique paranoïaque et ne jamais passer à l’acte. 

 

 

A lire

Psychopathologie de la paranoïa, d'Ariane Bilheran (Armand Colin).